« Pense à autre chose », « relativise », « essaye de voir le bon côté de la vie », « oublie ça »… Il existe de nombreuses formules d’usage courantes utilisées pour vous réconforter quand vous n’allez pas bien. Pourtant, avez-vous déjà vraiment réussi à supprimer vos pensées désagréables ? Est ce vraiment durable et efficace ? Quels effets cela provoque-t-il vraiment sur le cerveau ? C’est la question posée par Daniel Wegner en 1987, alors qu’il était professeur de psychologie à l’université de Trinity au Texas.
Que savait-on des effets de la suppression de pensées avant 1987 ?
Supprimer ses pensées serait franchement bien pratique !! Leur contenu est parfois franchement pénible, inconvenant, violent ou effrayant. Elles provoquent parfois émotions et sensations physiques déroutantes. Pourtant, choisir le contenu de ses pensées ne semble pas si facile.
Ce qu’on savait des limites du “stop mental” avant 1987 :
- Dans le traitement des troubles obsessionnels compulsifs, des auteurs avaient montré que cela était tout simplement inefficace (référence du livre cité par Wegner en 1987 ici)
- Dans le domaine judicaire, recevoir pour consigne de ne pas tenir compte d’informations qui ont été données influence directement le point de vue des jurés (ici)
- Faire l’effort de ne pas penser à une intervention chirurgicale à venir provoque un véritable rebond d’anxiété par la suite (dans ce livre cité toujours par Wegner)
- Supprimer une pensée stressante la rend même intrusive(ici)
- Tenter de contrôler les pensées liées à l’alimentation aboutit à des épisodes de craquages par la suite (Polivy et Herman ici) et entraine même des problèmes d’hyperphagie boulimique.
- Dans le domaine de la dépendance à l’alcool, supprimer des pensées relatives aux consommations aboutit à un taux plus important de rechute (références ici).
Les recherches s’accordaient donc déjà, avant 1987, sur l’inefficacité de la technique de suppression de pensées. Wegner a toutefois été le premier à s’interroger sur les raisons sous jacentes à cet effet. En soit, éviter en toute conscience une pensée peut s’avérer déjà difficile. Vous avez déjà du vous en rendre compte. Mais il semble en plus que lorsqu’on y parvient, il y ait une lourde contrepartie à payer.
Ne pensez surtout pas à un ours blanc !
Daniel Wegner va reprendre un protocole déjà connu en psychologie (Pope, 1978) et demander à 34 étudiants hommes et femmes de premier cycle à l’université de Trinity d’observer leur flux de pensées alors même qu’il leur donne pour consigne…De ne pas penser. Plus précisément, il va leur demander d’observer leur flux de pensées alors même qu’ils ne doivent pas penser à un ours blanc. A chaque fois que cette pensée fait intrusion dans leur conscience, il doivent sonner une cloche qui se trouve à leur disposition.
Aussi déroutante et difficile qu’ait été cette tache pour eux (alors que la pensée à supprimer n’est pas émotionnelle du tout) ils ont notés un certain nombre de raisons qui ont conduit à cet “échec”.
Pourquoi cela ne marche t’il pas ?
- Lorsqu’ils tentent de penser à autre chose, les participants constatent un retour fréquent de la pensée “ours blanc”. Cette dernière devient carrément intrusive et se transforme en réelle préoccupation. Voir en obsession. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond.
- “Je ne dois pas penser à l’ours blanc”. Oups, j’y ai pensé ! Faire l’effort d’éviter une pensée la renvoie dans la conscience tout simplement parceque l’acte de la supprimer suggère sont existence.
- Tenter de se distraire pour penser à autre chose va mettre en jeu la mémoire de travail. Or cette mémoire a une capacité très limitée. C’est celle que vous utilisez pour retenir un numéro de téléphone. Dès que le cerveau termine sa tache, il retourne à la tache initiale “je ne dois pas penser à”. Cela ne peut donc fonctionner qu’a condition de se distraire en permanence.
- Lorsqu’on va utiliser une action sensée nous permettre de supprimer cette pensée, une association va se créer en mémoire entre les deux. Autrement dit, on va multiplier les indices de rappel et augmenter la probabilité d’y penser. Par exemple, je vais me concentrer sur une chanson pour ne pas penser à…La chanson deviendra un indice de rappel en elle même.
- Il existe de multiples indices dans votre environnement susceptibles de vous rappeler la pensée à supprimer. Ainsi, pour ne pas penser à l’ours blanc faudrait il que rien ne puisse vous le rappeler (rien de blanc, rien de ressemblant etc).
Alors, que doit-on en penser ?
Wegner a ainsi démontré qu’il était vain de tenter de supprimer ses pensées. Loin d’être efficace, cela va générer un effet paradoxal et créer un véritable effet rebond. Les pensées se transforment alors en préoccupations, voir même en obsessions. Ainsi, ce n’est pas le contenu de nos pensées qui les rendent problématiques, mais les stratégies qu’on tente de mettre en place pour y faire face.
Si vous aussi vous avez l’impression d’être en lutte contre vos propres pensées, il est possible d’apprendre à mieux les tolérer. N’hésitez pas à consulter !